Que savez-vous et que pensez-vous du devenir de nos traces numériques ?
---**Quelles traces ?**---
Nous laissons des traces de deux sortes : volontaires et involontaires.
Volontaires lorsque nous partageons activement du contenu sur le Web (blogs, photos, liste d'amis …) et involontaires lorsque nous utilisons Internet (recherche, achats en ligne, consommation de services).
--**Prostitution informationnelle ?**--
A mon avis, il est illusoire de penser qu'en ne partageant "pas trop", nous ne laissons "pas trop" de traces : même une utilisation "passive" laisse beaucoup de traces. Nous savons que nous laissons des traces, donc nous sommes des victimes consentantes. Certains vont jusqu'à dire que nous faisons de la "prostitution informationnelle" : nous acceptons de vendre nos données intimes contre un service ([cf Dominique Maniez sur le site Mes débats][1]).
Prostitution, dealers : le trafic des données ne paraît pas très net…
--**Identité numérique…**--
Personnellement, je n'aime pas beaucoup partager sur Internet, sans doute parce que je suis un dinosaure né avant les réseaux sociaux. J'aime partager telle chose avec telle personne dans un chouette café — et non tout et rien avec tout le monde et personne, nulle part dans le cloud. La frontière avec les "digital natives" n'est pas technique mais culturelle. C'est une culture de la vie privée contre une culture du réseau, une culture de l'ombre contre une culture de l'exposition.
Autant je suis fascinée par l'archive qui est *une mémoire de soi structurée*, autant je suis mal à l'aise avec l'idée de traces numériques qui évoquent *une mémoire de soi atomisée*. D'ailleurs, chacun essaie de structurer ses traces sur internet pour en faire une *identité numérique* et résister à l'éparpillement. Mais ce faisant, nous donnons encore plus d'informations aux "dealers". Les réseaux sont-ils le lieu d'une citoyenneté plus épanouie ? Je crois que la culture des réseaux peut dynamiser la vie politique, comme elle peut aussi la noyer dans l'excès de commentaires ou les effets consensuels des "like".
--**Snapchat réinvente la fugacité !**--
Le succès de snapchat montre aussi que les gens - et notamment les jeunes gens - sont très friands et demandeurs d'une application qui ne laisse pas de traces (les images partagées ne sont visibles que quelques secondes et disparaissent des serveurs). C'est une application qui fonctionne sur le même régime que la parole : ça s'efface en se disant (voyant), c'est transformé, interprété par le récepteur, ça s'intersubjective. Alors que la trace nous objective, elle est figée dans le réel de la toile.
(Voir l'article [Snapchat. Le présent absolu][2], par André Rouillé, spécialiste de la photographie)
--**Bio-pouvoir ?**--
Nous sommes pris dans le jeu de structures informationnelles qui sont au coeur d'une nouvelle forme de capitalisme. Nous sommes dépendants et captifs d'internet, de nos réseaux, de nos objets… mais est-ce pire qu'avant où nous étions dépendants et captifs d'autres structures, d'autres médias, d'autres formes de pouvoir ? Il est vrai qu'avec les objets connectés, la puissance d'un bio-pouvoir, thématisé par Foucault bien avant l'émergence de l'ère numérique, va être encore accrue : tendance à normaliser nos corps et nos comportements par des injonctions médicales permanentes ayant pour but de nous rendre plus performants, plus productifs et conformes aux visées du capitalisme — comme l'héroïne et ses objets connectés dans la nouvelle (semaine précédente de ce MOOC).
--**Big Holes**--
… Et alors ? Nous inventerons de nouvelles formes de résistance ! Je ne me sens pas inquiète. D'autant plus qu'il ne faut pas surestimer ces structures informationnelles : 90% de la population mondiale est encore exclue du "numérique"…
Cela fait des "big holes" dans les "big data".
[1]: http://www.mesdebats.com/medias-tech/403-donnees-personnelles-doit-on-accepter-detre-trace-par-google-et-facebook/5735-google-fait-de-la-prostitution-informationnelle-on-vend-nos-donnees-personnelles-contre-un-service
[2]: http://www.paris-art.com/art-culture-France/snapchat-le-present-absolu/rouille-andre/440.html#haut