Et bien, donc, bienvenue dans cette petite session bonus pour
poser les questions qu'on n'a pas eu le temps de poser au cours
de la session live. Alors on va surtout parler d'une
question un peu liée aux technologies réflexives et à l'auto
mesure de façon générale, c'est-à- dire, finalement,
est-ce que ces technologies sont vraiment nouvelles? Quelle est
l'histoire finalement de la mesure de soi, qui peut remonter très loin...
et la mesure de soi notamment avec l'objet, qui peut éventuellement
donner un lien d'attachement, une relation
d'attachement donc une addiction.
Les grandes
étapes historiques qui ne sont pas si
simples. Ce qui est sûr, c'est que les technologies réflexives ne sont
pas nouvelles. Bon. J'ai cité le miroir tout à
l'heure, il y a un opéra de Salieri, le rival de Mozart, qui met en scène
Démosthène. Démosthène, c'est la grande figure de la maîtrise de soi,
de la culture de soi, c'est de la Mélétai, de la
préparation de l'exercice, et, c'est un opéra donc du 18ème,
Démosthène est devant son miroir dans son exercice de préparation à la
prise de parole... si on prend un autre exemple très ancien,
le langage, les pronom réfléchis, on parle
toujours du soi et bien le moi, toi, soi, ce sont des pronom réfléchis.
La lecture, l'écriture sont des technologies réflexives. Alors plus...
En revanche, en ce qui concerne la mesure de soi, c'est quand même vrai
que autant la mesure est quelque chose d'ancien,
autant la mesure du monde était quelque chose d'ancien, pendant
assez longtemps, c'était une des créatures de Dieu, l'homme,
qui mesurait les autres... Comme d'ailleurs, elle les avait
nommé, c'était bon... Là, le fait de
mesurer l'homme, c'est pas quelque chose qui
est important par exemple, dans l'antiquité.
dans les lettres de Sénèque par exemple, qui est un des
classiques des techniques de soi, il n'y a pas d'éléments de ce type là!
Il ne dit pas: "mesure toi!", c'est quelque chose
qui n'existe pas. ça n'existait pas
tellement non plus d'ailleurs dans le domaine de l'athlétisme!
On vous dit untel a gagné 10 fois mais
pour savoir jusqu'où il a sauté, c'est pas un truc que vous
trouverez dans les textes grecs. C'est pas quelque chose
qui est... Pour qu'on se mette à mesurer le soi, il faut
qu'il y ait eu des transformations importantes notamment du point de
vue du corps, c'est celles sur lesquelles Vigarello a insisté dans
son dernier livre en tirant un grand parti du texte
de Diderot sur le rêve de d'Alembert, qui est une vision
du soi du corps, du soi qui n'est plus le corps
simplement perceptif, on s'intéresse à tout le reste!
Tout ce qui bouge à l'intérieur! Diderot a une formule
très belle pour décrire ça. Et là, c'est vrai que à ce
moment là, ça commence à correspondre avec des
instruments de discipline, de contrôle, par exemple, il y a un
livre connu de Benjamin Franklin qui est "Le bonhomme Joseph",
donc dans le contexte protestant, la maîtrise de soi va se
caractériser par de la mesure en termes d'agenda, en termes de temps,
le temps passé, le temps passé aux maladies etc... mais là c'est
quelque chose qui est relativement récent, enfin...
et évidemment, le tournant c'est aussi le tournant de la fin du 19ème,
du début du 20ème, il est clair que quelqu'un comme Marey par exemple,
qui est un des deux inventeurs du cinéma, ce qu'il poursuivait c'était...
c'était pas les films de fiction. La meilleure preuve c'est que,
les technologies et les techniques utilisées par Marey servaient pour
comprendre le mouvement, pouvaient servir dans le domaine de
l'athlétisme, pouvaient servir... et pour lui, c'était dans son domaine de
connaissances et d'auto connaissances et donc, à ce moment là,
le système de Marey, c'est une pentométrie universelle, c'est ça!
L'écriture naturelle, pentométrie universelle et même le
dispositif d'Edison, qui ne visait pas le cinéma, s'est
avisé quelque chose qui était une relation, un type de relations
qui était une relation individuelle avec le cinéma.
Donc, de ce point de vue là, on peut dire que c'est une histoire ancienne
mais en ce qui concerne... autant l'auto médecine est très ancienne
c'est l'édit de Tibère, autant l'auto mesure, elle, est plus
récente.
Alors, c'est vrai que les techniques réflexives sont très
anciennes et si on fait référence notamment à l'écriture comme
technique réflexive, on peut dire aussi, parce que je crois qu'on l'a
pas encore dit ici, que, finalement, justement, les questions
sur les risques liés à ces techniques réflexives ne sont pas
nouvelles non plus, puisque l'écriture a, au moment où elle a
été crée et d'une certaine manière, et bien effectivement, a fait
question et on a imaginé, c'est dans le Phèdre de Platon,
notamment que effectivement, elle allait priver de mémoire ceux
qui pouvaient comme ça consigner beaucoup de choses par écrit.
Je voudrais juste rajouter un petit peu sur l'histoire de la mesure,
quelque chose, c'est parlé d'une thèse qui a quelques années
maintenant, qui une thèse d'une chercheuse qui s'appelle Marie-Ange Cotteret,
qui a dédié entièrement une thèse sur le sujet de la mesure personnelle
et donc là, c'est plus pour imager le rapport de la mesure avec
les technologies, et ce qui est très intéressant, c'est que cette
thèse nous situe la mesure comme une pratique de
construction de soi et même si elle n'est pas nommée comme ça, elle
explique que de toute façon... de toute façon anthropologique comment
on retrouve les mesures d'abord du corps, comment le corps
est le premier instrument de mesure et donc on retrouve des
mesures comme ça dans l'histoire, la coudée etc... donc,
et ce que cela signifie aussi, remettre la mesure dans ce
contexte là, historique, c'est aussi dire que quand on est passé au
modèle, au système universel de mesures, on l'a fait parce qu'à un
moment donné, chacun avaient des mesures particulières dans son coin,
et finalement, on a créé un système universel pour pouvoir
relier les hommes et communiquer entre nous. Voilà. Et donc,
je voulais attirer votre attention sur la notion de mesure, sur ces points
là, que c'est aussi un moyen de faire du sens ou de créer du sens commun.
Alors, juste une question de culture historique, c'est-à-dire que finalement, il
y a la mesure mais il y a aussi l'objet qui permet la mesure donc qui peut
devenir, permettant la mesure de soi, il peut devenir objet d'attachement,
et donc je me demandais si dans l'histoire, il y avait justement
...alors, on pourrait parler des coquettes avec leur miroir mais,
vraiment, dans la littérature, des figures de
de gens qui ont cet attachement à l'objet, de cette addiction
finalement à l'objet et à la mesure de soi?
ça n'est pas une figure d'addiction, c'est le
contraire. Mais "Le bonhomme Joseph" de Benjamin Franklin, il est
inséparable de sa montre. Sa montre joue un
rôle absolument central, il part, il regarde sa montre, elle est toute
sa journée. Toute sa journée est rythmée par cet
instrument de mesure du temps qui, se présentant comme quelque
chose de complètement objectif, est en même temps l'instrument
de mesure-but, de sa durée à lui, c'est-à-dire du temps qu'il passe
aux différentes activités et donc donne cette réflexion de soi qui lui
permet après de travailler de sur lui même.
C'est ce à quoi je pense. Mais en termes d'addiction,
il y a l'addiction, elle est au début avec l'écrit
dans l'exemple que vous donniez chez Phèdre et chez le pharmakon.
Alors, j'irai pas jusqu'à dire que de grands
auteurs de journaux intimes que j'évoquais tout à l'heure comme
Pessoa ou Amiel étaient forcément addict, mais c'est vrai que leurs
pratiques de cette écriture permanente d'eux-mêmes, les coupaient un peu
quand même il me semble, d'après ce que je peux savoir d'eux,
de leur vie sociale et c'est un des éléments qui peut être réfléchi de
ce point de vue là.
Par rapport à l'écrit, on a des éléments
d'identification de comportements excessifs, et des problèmes que
posent des comportements excessifs, mais ils ne sont pas pensés en
termes de dépendance. Sénèque dit par exemple, qu'il faut à la fois lire
et écrire et que si on a, il faut écrire et lire, en proportion. A tel
point que va se construire au fil du temps, l'idée qu'il y aurait une
sorte, c'est un peu comme l'attention à l'information, qu'il y aurait une
sorte d'équilibre général de ce qu'on lit par rapport à ce qu'on
écrit. Un maître de lecture sur lequel je travaille, Hugues de Saint
Victor, croyait réellement à cet équilibre général. Alors ça,
c'est très intéressant parce que l'idée qu'il y aurait un instrument
de mesure des entrées et des sorties de la lecture et de l'écriture, ça
renvoie aussi à la comptabilité en partie double de Luca Pacioli, qui est
elle-même, un instrument de visibilité de la vie
économique de la personne, qui va surgir un peu
après. Alors c'est pensé comme ça, il y a des excès qui sont pensés,
ça ne veut pas dire que pour autant elles sont pensées dans une
une vision qui est celle de l'addiction.
[...] Mais à quel point ce côté des entrées et des sorties, je pense
à Murakami qui a théorisé aussi dans un bouquin qui
s'appelle "Autoportraits de l'auteur en coureur de fond", à
quel point son besoin d'activités considérable de course à
pied, était directement lié à sa capacité à produire ses
écrits. On voit bien que c'est des questions effectivement
d'équilibre et de fonctionnement personnel à un moment donné, dans un
contexte donné, je crois pas qu'il y ait besoin de pathologiser
ces conduites là, dès lors qu'elles n'entraînent pas de dommages et de
souffrance particulière, parce que c'est vrai que c'est une question
qui revient encore sur le forum maintenant, certains
qui disent" mais est-ce que je suis vraiment addict?", encore une fois,
si il n' y a pas de dommages perçus et à l'origine d'une souffrance,
chacun est là pour construire sa vie comme il peut l'entendre et le
faire au mieux, et il n' y a pas de de normes dans le domaine.
Si je peux rebondir, je dirai même, pourtant je suis prêt à
à critiquer, les dépendances par rapport au numérique mais il est
clair qu'aujourd'hui, il y a une figure qui est particulièrement
ridicule, qui est la figure du grand témoin repenti. Bon. C'est-à-dire,
le type qui à un moment donné, se rend compte,
et certains points de Nicolas Carr relève de ça, se rend compte
qu'il est totalement dépendant, qu'il ne peut plus rien faire,
qu'il est devenu une espèce de zombie et qui
écrit un livre pour..., ça arrive, il y a plusieurs cas qui écrit un
livre pour vous expliquez que, il a même pas réussi, ayant
décidé de ne plus être connecté, il a pas réussi à l'être et que
sa vie est absolument tragique. ça, c'est plutôt les
les Sully Prudhomme de
maintenant ça! C'est vraiment... là, c'est intéressant! C'est
une littérature de genre, il a des littératures de genre qui
s'est créé sous la figure du repenti du numérique qui permet
pas de vraiment penser ce qui est la dépendance.
Ok! Bon, je pense qu'on
va s'arrêter là et donc je vous remercie encore une fois pour
cette participation au Webinaire et à ce petit bonus! Merci!