Cette semaine, nous recevons Jean-Luc Vénisse et moi -même, deux
invités: Béa Arruabarrena, je l'ai dit sans problème...!
Et puis... enfin, presque sans problème! Et puis, Alain Giffard. Alors,
avant d'aborder le thème de la semaine, quelques
petites informations générales, comme toutes les semaines, sur le
fonctionnement du MOOC. On a discuté la semaine dernière déjà, que
les forums étaient assez difficiles à manipuler, appréhender et donc, deux
nouveaux fonctionnements cette semaine. Vous pourrez voir quand haut
de la page, nous avons créé quelque chose qui s'appelle "Plan des
discussions" qui vous donne une page d'orientation de l'ensemble des
forums, qui permet d'accéder à chacun des forums et de naviguer
assez facilement vers lui. Et puis qui permet à chacun d'aller
cliquer... enfin, il y a les noms de tous les gens qui ont contribué au
forum, qui permet de cliquer sur son nom et d'aller voir l'ensemble de
ses messages. ça, c'est la première
chose. Et puis, deuxième chose, c'est qu'on a changé un peu le
fonctionnement de réponse dans les forums, bien qu'on vous incite de
plus en plus, à ne pas cliquer tout suite sur "nouveau message" quand
vous voulez répondre à une question, mais à ouvrir le forum et à le déplier et
puis, à vous insérer dans un fil de discussion, ce qui facilite la lecture
pour tout le monde... comme ça, il n' y a pas un message d'une personne et ça
facilite la lecture. Dernière chose, le bilan de la semaine 2 a un peu
traîné. Cette synthèse devrait pourtant être en ligne dans les
minutes qui viennent si tu vas bien! Alors, cette semaine 3 a pour
objectif essentiel de réfléchir à ce que pourrait être les addictions et
les pratiques excessives ou les pratiques à risques
l'avenir et autour de finalement, d'une
technologisation de plus en plus poussée de nos corps,
de nos activités, et de voir donc, quelles nouvelles pratiques pourraient,
si elles sont nouvelles, pourraient arriver dans les années à
venir, dans cinq ans, dans 10 ans... plus loin, ça devient peut-être difficile!
Pour cela, le principe de la semaine, c'est justement d'essayer
de réfléchir à la manière dont chacun a vécu l'évolution de
son rapport au temps, de son rapport à son attention, dans son
rapport au corps et à son identité sociale avant le numérique ou après
le numérique, ou alors, avant une technologie numérique particulière
par exemple, un téléphone portable ou Internet à la maison, ou un smartphone ou
un bracelet connecté qui va mesurer le nombre de pas. Et puis,
derrière, d'utiliser cette réflexion sur son vécu pour
essayer de prolonger finalement cette réflexion sur ce qui
pourrait nous arriver dans le futur avec ces nouvelles
technologies. Donc on est véritablement dans la recherche
action au sens où les réponses à ces questions, nous ne les avons pas et
nous voulons vraiment les construire avec vous. Donc les discussions
ont commencé sur la plate-forme FUN et je passe la parole à Jean-Luc
pour nous en parler un peu.
Merci Yannick! Bonjour à tous! Oui, donc, il est vrai
que les améliorations dont vient de parler Yannick par rapport à
à ce forum, ont permis effectivement des échanges un peu
plus nourris et dans des boucles de questions-réponses,
même si je pense qu'on peut encore certainement aller plus loin.
Donc vous avez été nombreux à contribuer, toujours au nuage de
mots et, ce qu'on peut faire ressortir à propos de cette semaine,
c'est que même si la question de la dépendance reste présente, elle
est largement débordée par tout ce qui est du côté du relationnel donc
relation, réseau relationnel, et puis aussi la manière dont on va,
dans ses relations, exister, se présenter, la notion d'avatar qui
ressort aussi, un mot qui ressort beaucoup, presque en
tête dans ce nuage de mots! Donc on voit bien qu'après avoir
été dans la relation que nous entretenons nous-mêmes avec ces
outils, là on passe à une autre dimension qui est celle de la
relation aux autres et là il est clair que c'est un enjeu aussi sur
lequel on ne peut pas bien sûr faire l'impasse donc on y reviendra
tout à l'heure. Alors, sinon pour les contributions plus précises
de ces exercices assez complexes qu'on vous demandait, là,
sur les phases 1 et 2 notamment. Il y a pas un grand
nombre de contributeurs mais ce qu'on peut constater,
c'est que les contributeurs ont vraiment essayé de répondre
aux questions, de se prêter à l'exercice, encore une fois, pas
évident! Alors, qu'est ce qu'on peut retenir de ces
contributions: pour ce qui concerne la prise en compte du corps,
(est-ce que je vais dans le bon ordre?) Oui! La prise en compte du
corps, de ses besoins, de ses ressentis, vous avez eu tendance
à dire que c'était bien préservé. Sauf, peut être, en ce qui concerne
les besoins de sommeil. ça, plusieurs ont souligné que
même s'ils avaient l'impression de bien contrôler la conduite et
la relation à ces outils, le soir, il pouvait y avoir
quelques débordements qui pourraient s'avérer problématiques. Mais
d'autres ont trouvé la question du corps saugrenue, on y reviendra je
crois, tout à l'heure. Dans le rapport au temps aussi, donc
vous avez eu tendance à dire qu'il n'était pas très affecté par les
connections numériques, même si le temps, pour beaucoup, était très
rempli. Vous l'avez noté précisément. Question identité,
rapports aux autres, notamment sur les réseaux sociaux, c'est toute
la question de la façon d'avancer plus ou moins masquée, la
place de l'avatar, mais certains ont parlé aussi de personnalités virtuelles ou
de personnalités multiples... on aura certainement à revenir sur ces
notions tout à l'heure. Apparemment, c'est plus du côté du contentement
que de la souffrance que ces questions d'images présentées aux autres
est connotée. Je finis parce qui va être notre point de
départ tout de suite après, ce sont les capacités
d'attention. Là, les témoignages vraiment, reflètent un impact beaucoup
plus significatif de l'avènement du numérique, puisque vous êtes assez
nombreux à dire... alors, je vais le dire de façon un peu schématique,
que votre attention vous paraît moins soutenue dans la durée mais
plus aiguë en termes de concentration à court terme. C'est quelque chose
qui est revenu dans pas mal de contributions, et je crois qu'on aura
bien sûr à le commenter tout à l'heure. Quant à la phase 3,
donc celle qui vraiment traite spécifiquement du soi quantifié,
elle n'a pas fait beaucoup d'écho pour l'instant, vous n'avez pas...
peut-être que ça va venir parce qu'il faut un peu temps, il y avait
beaucoup de travail cette semaine, mais vous n'avez pas pour l'instant,
vraiment réagi à cette question des enjeux de la quantification de
soi. On avait fait figurer une petite intro qui est dans le
cahier innovation de la CNIL qui est très bien fait sur
le corps connecté où il y avait une journée type,
à échéance d'une dizaine d'années, qui pouvait peut-être faire
réagir. Pour l'instant, ça n'a pas été le cas! En revanche, sur
le côté transhumanisme qui peut être
une philosophie un petit peu en arrière- plan de tout ça, plusieurs ont
proposé et c'est très intéressant, des illustrations, bandes dessinées,
jeux vidéo, pour mettre à l'épreuve ces enjeux du
transhumanisme. Et c'est l'occasion pour finir de remercier
finalement, parce qu'on a peut-être pas fait toujours, tous ceux qui
depuis le démarrage du MOOC, ont comme ça, posté sur
le forum ou sur les réseaux sociaux du MOOC, des liens à une
multitude de documents, souvent passionnants et contributifs donc,
c'est l'occasion de les remercier! Voilà!
Merci Jean-Luc!
On va maintenant présenter les invités. Alors, en commençant par
Béa Arruebarrana, qui est doctorante en science
de l'information et de la communication donc en INFOCOM à
Paris 8 et vous faites une thèse sur la quantification de soi au sens
large, est-ce que vous pouvez en quelques mots nous dire c'est quoi
cette thèse et quels types d'études vous menez dans ce contexte?
Donc bonjour! Donc, le sujet de ma thèse, il y a deux
lectures à avoir sur cette thèse, un méta niveau où je parle
en fait, de l'identité augmentée, et pour résumer
ça de façon très simple, je m'intéresse aux changements par
les données. Comment on se transforme via les données aujourd'hui? Voilà...
pour le faire très simplement! Et donc, les terrains d'études que j'ai,
sont évidemment, le terrain du quantified self principalement parisien,
mais j'ai aussi étudié des gens qui n'ont absolument rien à voir avec
le quantified self et qui se mesure notamment sur une enquête avec
une entreprise qui s'appelle IDS Santé, l'enquête s'appelait "My Santé Mobile
peut-être que vous en avez entendu parler? Qui était une enquête
à l'échelle nationale avec 1000 participants. Et donc des
personnes donc, qui se mesuraient et on a pu à long terme un petit peu voir les
effets qu'ils percevaient eux, sur leurs pratiques. Voilà!
Merci! Donc le
quantified self, c'est ce qu'on appelle aussi le soi quantifié. (BA Oui, pardon)
Alain Giffard, vous êtiez Directeur informatique de la
BNF, conseiller technique pour les technologies et la société de
l'information au Ministère de la culture et de la communication, et
Président de la mission interministérielle pour l'accès
public à Internet, vous êtes membre d'Ars Industrialis et vous travaillez
sur les mutations de la lecture et la lecture comme technique de soi.
Donc, de la même manière, rapidement, pourquoi est-ce que vous vous êtes
intéressé à ces techniques de soi, comment s'est constitué cet
intérêt?
Oui, dans un premier temps, je me suis intéressé à la...
travaillant sur la lecture numérique à la question générale des
techniques de soi telle qu'elle avait été introduite par
Pierre Hadot au titre des exercices intellectuels puis, par Michel
Foucault au titre de la culture de soi, des pratiques de soi, et des
techniques de soi, et là, l'enjeu général était de comprendre la relation
entre la lecture et la réflexion: le triangle lecture-mémoire-réflexion
Et puis, en poursuivant ce travail sur la
lecture numérique, on a vu arriver, j'ai vu arriver comme beaucoup
d'autres récemment, ce thème de l'attention qui est
effectivement central pour la lecture, puisque la lecture suppose
de l'attention, la lecture numérique relève de différents types d'attention et
d'autre part, dans nos sociétés, enfin dans notre civilisation, la lecture est le
principal exercice pour apprendre à concentrer son attention, pour
apprendre. Donc, d'un côté technique de soi et de l'autre côté,
attention. Et de fait, maintenant, j'ai deux types de travaux, un livre que
je fais, qui disons, historique sur la lecture comme technique de soi,
donc j'essaye de voir comment elle a été construite dans
l'histoire, parce qu'évidemment, c'est une construction et
peut-être comment elle est interrogée maintenant. Et puis ensuite, le
travail pour comprendre et analyser la lecture numérique.
Merci bien! Donc
on va lancer la phase de questions. Les auditeurs et les
participants dans la salle peuvent proposer leurs questions en
utilisant soit l'outil que CocoNotes Live, donc qui permet d'annoter en
live l'enregistrement de la vidéo et donc,
ces prises de notes là, elles seront disponibles après en
différé, en utilisant également Tweeter ou encore le Chat qui
est associé au flux de diffusion à Live Stream. Donc je vais
passer la parole à Jean-Luc.
Oui donc, on va aborder les questions
directement du côté de l'attention pour commencer!
Et c'est vrai, qu'Alain Giffard vient déjà d'ouvrir le débat! C'est vrai que
depuis le début de ce MOOC, beaucoup exprime
notamment sur le forum que l'on est sur-stimulé, qu'il y a une
saturation d'infos, le terme d'infobésité a été proposé
par certains et là, donc, Alain Giffard nous dit finalement,
la lecture est l'outil privilégié ou la manière la plus
habituelle et la plus efficace pour structurer une pensée
un peu linéaire, si j'ai bien entendu, donc que nos
participants, nos contributeurs disent "j'ai l'impression d'avoir une
attention moins durable mais plus percutante", c'est vrai qu'il y
a beaucoup de travaux qui montrent aussi que... si j'ai bien
lu tout ça! ... que effectivement, nous aurions des capacités à être
plus dans le multitâches, plus réactif, que même notre cerveau pré-frontal
se serait adapté à cette vitesse, cette rapidité de réaction alors,
est-ce que le prix à payer est très très élevé? Quelles sont nos
capacités d'attention? Que peut-on en dire par rapport à
ces évolutions? Voilà pour la première question!
Oui! Je vais
essayer de cadrer de manière générale ce
que la recherche scientifique a apportée sur cette question de
l'attention par rapport aux technologies du numérique.
Mais d'abord, dans un premier temps, en suivant cela, les
indications qui ont été données par Jonathan Crary, je
crois qu'il faut faire un retour en arrière, un siècle avant,
Crary a bien montré comment, au tournant du dix-neuvième
et du vingtième siècle, il y a un siècle, on avait vu à la fois
l'arrivée du thème de l'attention comme thème
scientifique, non seulement dans la discipline psychologique mais aussi,
dans l'organisation même des laboratoires. Comme on avait vu le
développement des technologies culturelles et médiatiques et des
industries du même type: le cinéma etc... en tant que
dispositif de captation de l'attention, une injonction générale
notamment dans l'industrie, à prêter attention, à se concentrer, qui va
finir par donner le taylorisme, l'organisation du travail à la
chaîne, et, même les premiers efforts avec la publicité pour
construire ce qu'on va appeler ensuite, l'économie de l'attention. Et en fait,
on a un peu, avec le numérique, redécouvert cette question de
l'attention sur laquelle les scientifiques avaient déjà
travaillé et les artistes d'ailleurs! Au début du
vingtième siècle. Il suffit de donner un exemple, chez les scientifiques,
deux images, le savant Cosinus, bon, vous êtes
probablement trop jeunes pour connaître le savant Cosinus,
mais c'était une bande dessinée, un savant qui se lavait le pied
droit, puis le pied gauche, puis le pied droit, puis le pied gauche, et il
faisait en même temps des équations arithmétiques. Et, il était à la fois
concentré et distrait. Tournesol dans Tintin! Mais ce qui est le plus...
ce qui est très connu, ce sont "Les Temps modernes" de Charlot, la séquence
où on voit qu'à force de se concentrer sur le travail à la
chaîne, Charlot disjoncte quoi! Il finit par être complètement distrait.
Alors, dans la période plus récente, et sans
entrer dans le détail, si on en vient maintenant à ce qu'on a appellé les
NTIC. Il y a un moment qui est très important, c'est la
contribution de Herbert Simon, qui est un peu à l'origine de ce
qu'on va appeler ensuite l'économie de l'attention. Le contexte, je le donne
rapidement parce qu'il fixe justement les idées, on est à la
fin de la guerre du Vietnam, les Américains sont en train de perdre
la guerre du Vietnam, Simon est quelqu'un de très connu, c'est un
intellectuel très influent, je vais pas détailler! Et ,le
gouvernement américain, Johnson, convoque différents experts pour
leur dire: "qu'est-ce qui se passe? Pourquoi est-ce..." C'est pas
pourquoi: "est-ce qu'on perd?" c'est pourquoi: "est-ce qu'on a perdu?
Comprenons pour ne pas continuer à perdre!". Et ,une des thèses qui est
très répandue, c'est: "on a manqué d'informations sur... la force de
l'ennemi, le soutien ou pas dans la population etc...
et Simon arrive et dit, c'était pas du tout un problème d'information,
c'était un problème d'attention. Or, Simon est informaticien, entre
autres... Il est informaticien, il est économiste, il est aussi
administrateur. Et, il va poser cette relation d'exclusion, tout
à fait curieuse pour les gens de l'époque, entre l'attention et
l'information. Pour retenir cette notion de Simon, il compare
l'attention et l'information à des lapins et des carottes. Si il y a des
carottes, c'est qu'il n'y a pas de lapins dans le coin, si il y a des lapins, il y
aura plus de carottes. Et les carottes sont l'information et les lapins
l'attention ou le contraire! C'est, donc, l'idée n'est pas que
l'information est un moyen de l'attention, l'idée, c'est que
les deux choses sont en quelque sorte, contradictoires. Et ce qui est
intéressant, c'est que dès ce premier texte, Simon, qui connaît bien les
problèmes, puisqu'il est informaticien, dit: c'est pas...
n'allez pas chercher du côté des banques de données! Parce que les
banques de données qui sont la technologie de l'époque, vous aurez
toujours encore plus d'informations! Donc, vous devez travailler
sur les dispositifs attentionnels. Alors, récemment,
je vais... je dresse un tableau très vite! Ce qui a donné un
éclairage à toute cette question, en particulier au grand public, c'est le
travail de Nicolas Carr, connu, "est-ce que Google rend idiot?" Carr pose un
problème qui est: un lecteur qui est passé à la lecture numérique et qui
se rend compte à un moment donné qu'il n'est pas capable de lire des textes
d'un certain volume, qu'il a perdu les
habitudes qu'il avait acquises à la lecture classique et notamment, les
habitudes d'attention. Alors, ce livre a été un best-seller aux
Etats-Unis, dans beaucoup de pays, ça a entraîné tout un débat au sein
duquel la question de l'attention... il y a aussi un autre best-seller en
Amérique, c'est: "Distracted" de Maggie Jackson, c'est un
livre... ce n'est pas un livre de recherche... Et Carr non plus n'est
pas un chercheur! Mais Jackson a... bon, c'est le livre qui fait
peur aux mères de famille quoi! Les enfants sont distraits...
Sur cette base là, nous avons des travaux de psychologues,
notre collègue Bassino par exemple, qui a travaillé sur la lecture
numérique ou Marianne Wolf qui a écrit un livre qui s'appelle:
Proust et l'octopus", Proust et la pieuvre, qui ont
mis... qui ont étudié le le numérique et notamment la lecture
numérique en faisant ressortir des difficultés qui étaient
de l'ordre, au minimum, parce que j'ai pas le temps d'entrer dans le détail là aujourd'hui!
Mais, qui était au minimum, de l'ordre de la surcharge cognitive, en ce qui
concernait la lecture numérique. Et donc, l'attention était en quelque
sorte, distraite de la lecture du texte, pour, effectuer d'autres
opérations, d'où, une difficulté à associer la lecture et la
réflexion. Et puis ce travail des psychologues, à un moment donné,
s'est mis à croiser le travail des économistes. Il y a un homme
extrêmement important chez Google, c'est Hal Varian. Alors, tout le monde
connaît les fondateurs, Paige, Bring, tout le monde connaît
le directeur, j'ai oublié son nom! Et puis tout le monde connaît
Kurzweil, la singularité. Y'en a encore un qui est très important, c'est
Hal Varian. Varian a été économiste en chef de Google,
et il a fait un travail fondamental sur ce qu'on
appelle l'économie biface ou l'économie plate-forme, qui est la
forme réelle, concrète, d'économie de l'attention, c'est-à-dire, ce système
qui permet à Google de proposer des informations ou des dispositifs
attentionnels gratuitement au public et à revendre les données
qu'il obtient comme ça, il ont, pour simplifier, la publicité! Donc ça,
c'est modélisé! Ce que je dis là, c'est extrêmement simple! Varian lui,
est capable de calculer avec ses graphes, à quel prix on
vend ceci, à quel prix on vend cela, quel est l'optimum etc...?
Bon. Donc les économistes ont, en quelque sorte, à partir de
l'économie biface, à partir l'économie de plate-forme, ont relancé
cette notion d'économie de l'attention.
Alors,on a un croisement entre les deux, c'est-à-dire que, moi, je suis assez...
typiquement, mais je ne suis pas le seul! Quelqu'un comme Pasquinelli,
Hypolito, Bernard Stiegler, j'ai noté qui d'autre aussi?...
Bon, on est un peu sur ces notions de croisement entre l'un et l'autre,
puisque les problèmes de manque d'attention dans la
lecture, les problèmes d'une technologie qui ne permet pas de se
concentrer dans la lecture, ne sont pas évidemment sans lien avec ce
modèle économique de l'économie d'attention. Voilà, j'ai été très
très vite! Mais je dirai encore, pour conclure, que, un
théoricien important pour moi est Jonathan Crary que j'ai déjà
évoqué au début. L'idée essentielle, c'est que l'industrialisation de
l'attention, bien sûr, ça consiste à proposer des
nouveaux moyens, mais en même temps, ça comprend une destruction des
capacités attentionnelles. Alors, pour Crary, qui a écrit sur le
capitalisme comme crise permanente de l'attention, nous sommes dans une
situation de restructurations permanentes des dispositifs
attentionnels. C'est comme ça qu'il comprend la révolution
technique permanente dont le numérique est une étape.
Et la crise de l'attention, c'est ça! D'où une débauche de capacités
attentionnelles pour s'adapter à cette restructuration technologique
permanente. L'autre aspect qui est très important, c'est que pour Crary,
la distraction, c'est pas plus ou moins d'attention. L'attention et la
distraction sont les deux pôles d'une même continuité. Et les
dispositifs attentionnels eux-mêmes, produisent de la distraction. Bon.
Donc ça, c'est quelque chose qui est fondamentalement différent des
best-sellers, façon "Distracted" de Maggie Jackson dont
je parlais tout à l'heure. Et j'ai proposé, moi, sur cette base, de
comprendre les problèmes de l'attention dans la lecture
numérique en distinguant une attention orientée texte qui était
formée dans le cadre classique de la lecture de livres imprimés, et, une
attention orientée médias, qui était nécessitée justement par le
besoin, la nécessité de s'approprier ce changement technique permanent.
Bon. Et c'est le conflit entre, j'interprète beaucoup de ces
difficultés d'attention comme un résultat d'un conflit entre
différentes attentions. Et pas comme trop de
distractions ou pas assez d'attention. Et en l'espèce comme un
conflit entre une attention orientée textes une attention
orientée médias.
Une fois encore, plus de qualitatif que de quantitatif dans
l'appréciation de ces... comme on l'a déjà souligné précédemment dans le
MOOC.
Je vais juste rajouter quelque chose, juste un tout petit exemple
par rapport à ce qui a été dit dans le quantified self justement,
et parler d'un article qui est paru maintenant il y a
bien quatre ans sur le quantified self, qui avait été réalisé
par Anne-Sophie Farabot, que je n'écorche pas son nom, et donc,
qui s'appelait "La mise en chiffres de soi" et justement, il portait un peu...
Ce qui était très intéressant dans cet article, c'est qu'il mettait
en relation les travaux d'Alain Desrosières qui est un statisticien qui a
travaillé sur la quantification statistique,
et donc, la mise en chiffres de soi portait vraiment
quelque chose d'important sur le fait que, finalement, dans ces
pratiques de quantification, il y a bien, de façon
sous-jacente, une attention, une focalisation en
permanence sur soi qui découle de ces habitudes
qu'on a dans notre société avec tout ce qui a été développé,
ce que Alain Desrosières explique très bien, c'est-à-dire, l'argument
statistique, comment nous sommes dans une société de chiffres, de statistiques,
et comment nous portons notre attention vers le chiffre et que
donc, ces dispositifs amplifient cette
focalisation et cette attention à un moment donné sur soi via les
chiffres. Voilà!
Merci! Donc on a déjà entamé la deuxième partie
avec le quantified self, je pense qu'on en reparlera! Donc, la
deuxième question portait sur le fait qu'il était probable que le
rapport au temps était impacté par les technologies numériques et donc
qu'est-ce que vous avez à dire à ça? Dans quelle
mesure il y a un impact?
Sur cette question, je vais me
contenter de reprendre la contribution de Bernard Stiegler
dans son grand travail sur la technique et le temps parce
que je crois qu'elle est décisive par rapport à ça.
Stiegler s'appuie sur Husserl. C'est un travail donc, de
philosophie. Husserl avait distingué, travaillant
sur le temps et sur la mémoire, avait distingué les rétentions, donc les
rétentions, ce sont les souvenirs... les souvenirs que nous avons. Mais,
c'est pas simplement les souvenirs dans le sens des
photographies du passé, c'est aussi les souvenirs que notre
corps peut avoir. Bon. Notre corps, nous essayons de synchroniser des
temporalités différentes de notre corps, bientôt, vous allez avoir
un conflit entre le temps de vos facultés rationnelles
comme on aurait dit au 18 ème siècle, et puis celle de vos facultés
digestives. Le haut va dire: "je continue à suivre"et puis le milieu va dire:
je commence à avoir faim" donc on a des rétentions.
Le corps se souvient des choses et puis on synchronise. ça, ce sont
les rétentions. Et puis il y a les les protentions. L'attention, c'est
une attente. Pour qu'il y ait attention, il y a attente, il y a
attendre, c'est-à-dire, tension vers quelque chose, c'est-à-dire désir,
c'est-à-dire "je veux quelque chose". Lorsque je dis
j'ai faim", je dis deux choses à la fois. Je dis que mon corps se
souvient qu'il a besoin de quelque chose et je me tends vers
la salle de restaurant ou ce que je veux
manger. Et Bernard Stiegler a ajouté à ces deux
éléments qui avaient été systématisé, théorisé par
Husserl, un troisième qu'il a appelé les rétentions tertiaires, c'est-à-dire,
la relation que l'homme, individuellement et socialement,
parce que les rétentions et les protentions sont à la fois individuelles
et sociales, a avec des dispositifs techniques mémoriels,
qui sont extérieurs, qui peuvent être le livre, mais qui peuvent être
toute sorte d'autres choses, bon, qui sont des moyens, des aides-mémoire,
et ce sont précisément ces aides-mémoire qui, avec le numérique,
ont été industrialisés. Bon. Et donc, c'est de cette manière que
nous en arrivons à une situation dans laquelle le temps est en quelque
sorte délégué à des dispositifs de mémoire qui sont extérieurs,
qui sont machiniques par exemple, et nous vivons dans un monde
dans lequel nous avons notre temps individuel, le temps de la société, le
temps de l'ordinateur... le temps des ordinateurs est
synchronisé mondialement mais c'est pas le même que le nôtre, le temps du
Google Robot, c'est pas le même que le nôtre, et la question qui
est posée, c'est de savoir si comme le dit Crary, nous habitons le
temps dans l'impuissance, et c'est une formule extrêmement forte, c'est
à-dire qu'en réalité nous nous voyons imposer le temps des machines,
le temps de l'industrie, ou si nous sommes capables de définir
un propre de ce temps industriel, de ce temps technique qui est relié
avec notre propre temps de vie et d'individualité.
Du temps physique au temps humain subjectif, c'est un
peu la question. Et je me disais, au-delà de ces délégations de
temps, il y a aussi peut-être, la question d'un temps déstructuré à
la mesure de la culture, de la disponibilité totale qui est sous
entendue dans tout ça, parce que le dernier livre de Jonathan Crary:
Le capitalisme à l'assaut du sommeil"'est aussi intitulé "24 7",
24 heures sur 24, 7 jours sur 7, cette disponibilité totale, elle ouvre
un temps illimité... Qu'est-ce qu'on peut en dire? Qu'est-ce que vous
en diriez? Béa?
Alors, je rentrerai pas dans les questions
théoriques puisque vous les avez soulevées et je vais dans le même
sens que vous. C'est dire, de quel temps on parle déjà! Temps perçu,
subjectif, ou comme on dit le temps des horloges. Ce que...
J'ai envie d'attirer votre attention c'est sur le temps donc
par le numérique, c'est-à-dire que, comme vous l'avez dit, il y a une
externalisation de nos fonctions cognitives dans le
numérique. Donc, une spatialisation déjà, de pas mal de nos
pratiques dans le numérique, et des temporalités. Ce que je trouve
intéressant c'est que, à partir du moment où c'est projeté dans le numérique,
en termes de mémoire, c'est-à-dire, de passé, de présent, il y a ces
phénomènes, en fait, d'anticipations qui sont possibles. Voilà. Donc je
pense que dans certaines technologies, il y a vraiment ces
phénomènes d'anticipation qui sont très importants et du coup on passe
de la question à l'instrumentalisation de la
technique à l'instrumentation de la technique. Voilà. Comment on
instrumente la technique? Et dans mes recherches et beaucoup plus
ce qui m'intéresse, c'est-à-dire, comment les outils peuvent nous servir pour
changer, on va dire pour le dire simplement, positivement. Voilà.
Alors, peut-être qu'on peut passer au corps et c'est vrai que, la question de la
place du corps dans tout ça, elle reste à réfléchir.
Nos participants ont souvent eu du mal, je le disais tout à l'heure,
à se poser la question, elle est pas facile! Dans quelle mesure notre
corps est-il régulé, est-il un régulateur de plutôt de
nos conduites, de nos manières de penser, et de quelle
manière le rapport au numérique pourrait modifier cette
place du corps?
Alors, la première chose que je répondrai,
c'est sur le corps, c'est-à-dire, pareil, de quoi parle-t-on quand on parle du
corps? Du point de vue info- communication, mais aussi des
sciences cognitives, on ne dissocie pas le corps de l'esprit.
On parle de cognition incarnée pour traduire que l'individu est
toujours dans un couplage, on va dire structurel avec son environnement.
Et si on considère cette position et que finalement on
considère que l'individu corps cognition est un système, et
bien finalement, grâce à l'information qui l'entoure, et bien, il
est sans arrêt en train de se réguler, de fait. Déjà, je veux
dire c'est même un processus qu'on peut mettre hors du numérique mais
qui avec le numérique est forcément amplifié donc que la connection, on va
dire permanente aux outils aujourd' hui notamment mobiles, fait
qu'effectivement, il y a des régulations possibles. Est-ce qu'elles
sont bonnes ou mauvaises, ça, c'est un autre débat. Mais il y a vraiment
des régulations possibles.
Alors il y a une formule un peu
exemplaire que je trouve qui dit que, par exemple, quand on travaille
avec le numérique, compte tenu qu'on est effectivement submergé
souvent de messages qui arrivent au fur et à mesure, c'est comme si il y
avait 10 personnes qui rentraient dans votre bureau en même temps, qui
parlaient toutes ensemble et qui attendaient toutes une réponse
immédiate, là on mesure une conséquence éventuellement
problématique de cette dérégulation corporelle, parce que dans la
réalité, ça n'est pas vraiment possible quand les
corps sont là.
Oui, sur l'aspect à distance, j'aurai un peu plus de mal à
répondre j'avoue! Sur le fait, vous voulez dire, sur le fait,
qu'il y ait vraiment des multiplicités.
Voilà, nos corps
sinon, sont là, pour avoir besoin d'un peu d'espace vital et ne
pas forcément tous s'exprimer en même temps, et, alors que sur
sur la Toile, c'est toujours possible. Ce qui est une question! Mais en même
temps, c'est vrai qu'on peut aussi dire qu'il y a quelque chose
qui est protégé du corps dans certains cas, et qui permet des
expressions qui ne seraient pas possibles autrement. Moi, j'aime bien
la formule de Pascal Lardellier qui est... qui travaille à
Dijon et qui a parlé (?phone) sentimental à propos de ce qui
peut se passer sur les réseaux sociaux
notamment, et pour les adolescents, on sait bien, ceux qui sont un peu en
difficulté, qui n'osent pas et qui sont embarrassés de leur corps, de
pouvoir entrer en relation sans que le corps soit en première ligne
comme il l'est trop souvent dans nos sociétés, c'est facilitant donc
voilà, c'est un peu à contrepoint... Je ne sais pas ce que vous pensez?
Oui, j'allais juste dire sur ça, alors évidemment, moi je suis sur
des phénomènes quand même très particuliers, très précis...
Donc, sur le... Ce qu'on peut plus dire, c'est qu'il y a
effectivement, un partage à un moment donné dans les
communautés...
Peut- être que tu peux donner quelques exemples d'études?
D'études? Alors là, je parle vraiment...
as vu...
Donc, très concrètement là, je parle de partage sur la communauté
donc un dispositif qui s'appelle, je cite quelques
marques puisque... Fitbit, donc c'est un podomètre, voilà, et
derrière vous avez donc ce qu'on appelle un... enfin... vous avez un réseau
social dédié, vraiment dédié de Fitbit, et, effectivement,
il y a donc des partages de données entre utilisateurs, alors
qui participent aussi à cette... qui est sur les
modèles fondés sur les modèles de l'économie de l'attention, ils sont pas là
par hasard non plus, mais qui aussi, fonctionnent plutôt bien et vont
un peu dans le sens de ce que vous disiez sur l'échange
du corps à corps quoi! où il y a quelque chose qui se passe
dans le rapport de l'information du corps à l'autre. Comment
j'intériorise un comportement de l'autre et comment l'autre à des
attentes par rapport à mes données sur mon corps. Donc là, il y
a bien des échanges qui se passent, d'une forme de corporéité du
numérique, il y a bien quelque chose qui est diffusé, oui! Et régulier!
Ce qui nous permet d'enchaîner sur sur le quatrième grand
pilier dont on parle cette semaine dans le MOOC qui est
l'identité sociale et la perception de son
identité et de ses rapports aux autres. Donc la question, c'était
comment cette construction, représentation de soi
par les réseaux sociaux, par le numérique au sens large,
influe sur les comportements et quels sont les les risques
associés?
Oui, le sujet d'actualité là
dessus, c'est la question des réseaux sociaux et des
jeunes. C'est souvent à travers la question du rapport entre les
jeunes et les réseaux sociaux pourtant ce ne sont pas les seuls
concernés par ce problème. Premier
élément de réponse, c'est ce qu'on appelle l'approche pharmacologique,
bon, c'est un mot compliqué pour dire que c'est au même
endroit qu'on trouve le poison et le remède. C'est pas pour dire
qu'il y a du bon et du mauvais dans tout! ça, c'est c'est pour dire que
si on creuse le poison, qu'on creuse le remède,
c'est que les risques des réseaux sociaux tiennent
précisément à ce qui fait leur intérêt.
ça n'est pas une externalité négative comme disent les
économistes. L'addiction et l'exercice, la distraction et
l'attention, ne sont pas d'un côté et de l'autre, il y a un continuum
entre les deux. Et donc, ce qui est bon dans les réseaux sociaux
en termes de construction de soi c'est aussi ce qui comporte des risques.
C'est la philosophie si vous voulez de
mon approche de ces questions. Et je vais essayer
de l'éclairer presque avec une approche, je dirai,
biographique ou personnelle. Les réseaux sociaux doivent leur succès
je crois, chez les jeunes, non seulement au soutien, au
développement de l'entre soi qui a souvent été noté par les
sociologues, notamment sur Facebook, mais aussi parce qu'ils
favorisent une certaine construction de soi en contrebalançant
ce que Guy Debord a appelé la séparation, c'est-à-dire, l'isolement,
c'est-à-dire, l'hyper individualisation. La vie d'un jeune
bourgeois dans les années 50 ou dans les années 60 quand Debord écrivait
son texte critique de la séparation, c'était une absence
totale de plasticité des rapports sociaux ou des réseaux
sociaux. On connaissait des jeunes en classe, et bien, on les
voyait pas pendant le week-end. Il n' y avait pas de rapport entre
la vie des parents et la vie de la classe, entre les jeunes
qu'on voyait pendant les vacances et ceux qu'on voyait pendant l'année, tout
était séparé! On se déplaçait, ceux qui avaient des pairs qui
se déplaçaient, et bien, on se déplaçait! Les copains de
tel endroit, on les voyait plus! On passait à d'autres copains!
Et les réseaux sociaux ont permis à la sociabilité des
jeunes, ont présenté pour les jeunes, cet intérêt tout à fait
extraordinaire d'avoir une plasticité des
contacts et des relations sociales. Et, par exemple, si
le groupe où je suis ne s'intéresse pas à ce qui moi me
fascine, ça ne m'empêche pas de continuer à être en rapport par
ailleurs, avec des gens qui s'intéressent à ça. Bon. Ce qui est quand
même quelque chose d'extraordinairement nouveau
dans la psychologie d'un jeune
et d'un adolescent et dans sa vie sociale. Bon. Mais c'est
en même temps le problème, c'est que en même temps, ces réseaux sociaux
qui permettent ça, qui permettent cette diminution de la séparation, ce sont
en même temps eux, qui travaillent sur le maximum d'individualisation
puisque ils collectent... Ils connectent et ils collectent
des données sur la personne, sur l'individu et
donc, les deux vont en même temps. Si je détaille, je prendrai
d'abord une notion qui a été développée en particulier par notre
collègue Laurence Allard, qui est intervenue je crois récemment,
l'expressivisme. Bon, l'expressivisme en un sens, c'est bon!
D'ailleurs c'est bon pour tout le monde, pas simplement pour les jeunes!
Mais l'expressivisme, c'est quand même la possibilité en
termes de libertés publiques, de voilà, de s'exprimer. Il y
à 50 ans, la plupart des citoyens passaient toute leur vie sans jamais
s'exprimer publiquement. On parlait mais on faisait une fois
dans sa vie, on participait à un tract et puis c'était tout! Bon maintenant,
on a cette liberté de s'exprimer. Mais en même temps,
cette liberté, elle est une contrainte à s'exprimer, il faut que
les jeunes sachent capables de... soient capables de faire des
performances expressives, il y a une concurrence
entre eux par rapport à ça et il y a une pression à s'exprimer qui est
très très forte! Bon. Et d'autre part, en s'exprimant, ils alimentent
la machine informationnelle, ils alimentent le
marketing etc... Deuxièmement, le risque du formatage. Alors je ne vais aller
très loin là dessus parce qu'il y a quelques années, j'avais
développé une analyse de Skyblogs de ce point de vue là, ce qui
m'a valu des bagarres avec Skyblog mais, c'est
pas neutre. Bon. On est sur une plate-forme et il y a un formatage. On
est formaté ça... nos collègues, par exemple, du laboratoire Paragraphe,
ont étudié la manière dont les dispositifs d'écriture sur les blogs,
ou sur Tweeter, ou sur Facebook poussaient les gens à un certain
comportement, à faire les choses d'une certaine manière. Ajoutons que
pour des plates-formes comme Skyblog par exemple, vous aviez en plus
des modèles, comme la télévision en fait aussi mais, il y avait des
modèles donc on suivait des modèles. C'est une espèce de contre-école en
réalité! Et, coupés du reste du monde, parce qu'au début, il n'y avait
pas le lien hypertextuel sur le reste du web, donc, le formatage.
Donc ça, c'est un effet de l'industrialisation
qui a souvent été souligné, y compris par moi.
Je passe maintenant à autre chose qui est, les problèmes qui sont liés aux
savoirs-lire. La lecture numérique, elle impose à la fois le
savoir-lire classique et un nouveau savoir-lire qui est
celui des technologies numériques. Alors dans les actions de formation
que je fais de la lecture numérique, je suis étonné de l'ampleur,
de la profondeur des difficultés, y compris chez des
personnes qui sont des spécialistes du Web, à interpréter le contenu du
Web, interpréter les messages. Bon. On a très souvent des divergences, des
incompréhensions, plus que des divergences
d'interprétation. Alors je vais prendre un exemple qui est
immédiat, qui est sur lequel je travaille en ce moment, qui est
la question de la propagande djihadiste, terroriste,
et de la relation avec les jeunes qui vont sur ces
sites. C'est pas la question du buzz, c'est la
question du rapport avec, disons pour simplifier, avec
la propagande. Et je crois que pour comprendre ça, parce que les
journalistes nous disent du matin au soir que c'est de la logorrhée, nous disent
que ce sont des arguments barbares, que ce sont... bon, voilà! On est
sur un topos qui est le topos de l'étrangeté et ce que j'essaie de
comprendre c'est pourquoi ça fonctionne? Et je crois qu'il y a
un élément d'explication dans ce que notre collègue Bowtter(?) a appelé la
remédiation. Comment ça fonctionne la remédiation?
C'est un système dans lequel le numérique est quelque chose qui
récupère des éléments dans les médias précédents, conserve
la puissance, le tenant à ces éléments là, mais en fait
les réorganise et les retourne éventuellement contre
ces médias, enfin, de manière autonome par rapport à ces médias, et
obtient par ce mouvement, une sorte de
valeur d'authenticité a priori. Bon, c'est la théorie générale que je ne
peux que... que je ne peux que résumer ici. Ce qui est clair je pense,
parce qui m'apparaît, bon, disons l'hypothèse que je fais, c'est que
pour les jeunes qui sont attirés par le Djihad terroriste, le régime
attentionnel des masses médias, de la télévision, des journaux, de la radio
c'est le règne du mensonge. La remédiation créée par
les différents sites, que ce soit de... enfin, des deux principaux groupes
terroristes, créent un effet de vérité en général, dont je dis très
rapidement les éléments. Le premier élément, c'est l'élément
d'accès immédiat opposé à ce qui apparaît à la télévision comme
une suite d'éloignements par l'interposition des écrans, des
perspectives etc... Une deuxième chose, c'est une rupture des
codes dans le régime d'autorité des messages, des auteurs et des
lecteurs, c'est-à-dire que sur ces sites, vous avez... on ne respecte plus
les codes d'autorité des textes ou des messages qu'on a à la télévision.
A la télévision, si on est la télévision pour la ménagère de 50
ans, on lui parle comme si elle était demeurée, je simplifie!
Sur ces sites là, on ne se préoccupe pas de savoir si
le type sait bien lire, si il a le bac ou si il a eu des
difficultés, on lui propose des textes qui traitent par exemple,
est-ce que la recherche de la vérité doit passer par la méthode de la
liberté ou par la méthode de l'autorité?" et c'est cet effet de...
Il se dégage de cette rupture des codes d'autorité, en
fait, une sorte de fascination, un effet de vérité...
JLP On va être obligé... Enfin le temps passe très vite...
C'est vrai que cette extension, désolé! Mais
c'est vrai que cette extension était importante parce qu'elle est en
prise directe avec la réalité mais le temps passe vite, il ne nous reste
finalement que quelques minutes... On va finir avec ce qui concerne
objets connectés et santé" donc le quantified self dans le champ
de la santé. On mesure bien que des bénéfices très importants
sont annoncés, sont évidents, concernant notamment la gestion
on va dire, des maladies les plus chroniques ou le patient pourra à
la fois s'automesurer mais aussi être en lien avec ces soignants
et là, il y a des choses qui vont être effectivement très riches.
On parle de médecine 4P: personnalisée, prédictive, préventive,
mais il y a aussi peut-être, un certain nombre de points
d'inquiétude ou de choses à réfléchir en termes de
limites de tout ça, qu'est-ce que vous pourriez nous en dire Béa,
qui avez beaucoup travaillé sur ces questions?
Alors, la première
chose qu'on peut dire aujourd'hui, plus sur les risques,
parce vous avez parlé finalement des bénéfices, je vais y revenir un
petit peu après sur les bénéfices. Mais sur les risques,
il y a déjà toute la partie technique où aujourd'hui, beaucoup d'objets
et notamment les applications, parce que finalement les objets très vite,
ils vont faire... ils vont rentrer dans les processus de
normalisation, de certification européenne, internationale,
les applications pour le coup ne sont pas du tout certifiées
aujourd'hui. Il y a un travail qui commence à être fait avec
la CNIL et une agence de médecins: DMD Santé,
voilà! Mais on est vraiment au début de ça et donc, quand
on dit "certifier une application", c'est par exemple, "qu'est-ce
qu'on mesure? Quelle unité de mesure on met derrière?" voilà, toutes ces
questions là, parce que même si il y a des mesures qui sont normées, mesurer
le taux du (?), c'est sûrement normé, quand on mesure
un pas par exemple, aujourd'hui mesurer un pas, c'est une
mesure qui a été inventée avec on va dire, avec
les outils, voilà. Et qui, suivant tel ou tel podomètre,
peut-être, l'unité du pas change. Donc tout ça, ça pose des
questions, voilà. Donc, et ça comporte finalement des risques, sur
le nombre de pas, on se dit que c'est peut-être un petit peu anodin mais
c'est vraiment un exemple qui peut se retrouver ailleurs.
Surtout si
c'est récupéré par les assurances comme c'est peut être le cas...
Tout à fait!
Si on a pas son nombre de pas, c'est qu'on ne fait pas ce qu'il faut pour sa santé,
et que donc, on va avoir une assurance plus chère... Enfin, ça fait
partie des nombreux enjeux...
Oui! Enfin bien que je mettrais un bémol
sur les assurances notamment en France où aujourd'hui,
on va plus comment dire, ces pratiques sont récupérées effectivement
par les assurances mais peut-être pas quand même complètement dans le modèle
américain, puisque on a... Là, je ne vais pas rentrer dans les trucs
juridiques, des questions juridiques des assurances, mais
on est sur un modèle qui s'appelle la mutualisation et si on procédait
comme les États Unis, en fait, notre modèle
français s'écroulerait complètement, donc les assureurs ont pas
aujourd'hui intérêt à aller dans ce sens là, c'est-à-dire, vraiment
prendre les données et traduire. Par contre, il y aura des traitements
effectivement, il y aura des choses alors qui seront peut être pas faites de
façon par un traitement direct des données mais,
il y a des analyses qui seront faites et qui pourront vous
encouragez à améliorer votre santé, avoir des meilleurs
comportements. Oui! On va quand même aller vers là. Sur aussi les
risques, là je vais parler d'un cas très précis, on en a parlé tout à
l'heure sur l'anorexie, c'est à peu près le seul cas vraiment qui
a été... parce q'il y a à peu près deux ans, donc on a vu dans le
mouvement quantified self, émerger de la part d'anorexiques,
des pratiques de mesure dans... On mesurait l'entre-jambes
et l'idée, plus la mesure est importante, plus
on est maigre etc... Donc la question s'est posée au niveau du
quantified self quel rapport il y avait et là,
je citerai une étude des recherches qui ont été faites par Antonio Casilli,
chercheur en sciences sociales, qui a fait une énorme étude il y a
deux ans, et qui étudiait l'anorexie et le numérique, notamment
comment les communautés d'anorexiques interagissaient
sur Internet, et pour faire très simple, ce qui était très
intéressant dans cette étude, c'est que ressortait que finalement le
numérique aussi, permettait de créer un entre soi, permettait de créer
quelque chose de plus qui pouvait apporter...
De la solidarité!
On en a parlé un tout petit peu dans le premier Webinaire. Mais
c'est vrai que c'est un exemple qui est important parce qu'il
n'y en a pas trop dans ce domaine. Mais sinon aussi bon, on décrit
souvent des risques finalement que l'autosurveillance devienne
quelque chose d'envahissant et que chez des sujets anxieux, il puisse y
avoir comme un besoin de vérification permanent, autrement dit,
dans ces questions de boucles réflexives où quelqu'un est
finalement en ligne avec son propre fonctionnement, est-ce qu'il n'y a
pas des questions de temporalités à réfléchir?
Alors...
Y compris chez les sportifs que vous avez étudié.
dirai que c'est... Il manque cruellement de recherches sur le
sujet! Voilà! C'est-à-dire que je ne peux que constater des choses
aujourd'hui parce que j'ai donc une approche sociologique donc ça va
se porter... c'est sur le comportement donc effectivement, on voit et
c'est un peu ce que pointait un petit peu l'article de
Anne-Sophie Farabot (pardon)...
Et aussi Thomas Fergus
au Texas, qui a créé le terme de cybercondria
pour parler de cette éventualité d'une relation
hypocondriaque à soi -même à travers ces outils
numériques. C'est une... en tout cas, c'est une vraie
question! Moi, je pense aussi qu'on peut parler de surmoi
numérique. En psychanalyse effectivement, le surmoi c'est
cette instance intériorisée qui permet
d'intégrer des interdits, des limites, mais qui parfois peut devenir
envahissant, c'est comme si on avait délégué là peut-être aussi, à ces
objets connectés, une sorte... une partie de notre surmoi et
comment on va s'arranger avec ça? C'est une question en tout cas
qui paraît ouverte personnellement!
Il y a aussi une
autre question qui est soulevée qui est encore sans réponse, qui
mériterait des études, c'est le rapport à l'objet. Là, je citerai
Alain Prochiantz qui nous explique que...
comme nous intériorisons un certain nombre de pratiques
venant de l'autre, nous intériorisons sûrement des schémas
de l'objet qui fait qu'à un moment donné, parce que ça, ça ressort
vraiment beaucoup de mes études, c'est-à-dire, qu'on voit qu'il y a un
attachement à l'objet et très souvent, le départ... Une grande
période du début de la pratique est liée à ce manque de l'objet. Voilà!
Ce rapport à l'objet! Voilà!
Le doudou numérique!
C'est une vraie question qui nous ramène aussi aux questions
de séparation qu'évoquait Alain Giffard tout à
l'heure. Effectivement, il y a des... une plasticité à ce niveau là mais il y
a aussi parfois une tyrannie du lien dans la manière dont ces
objets numériques et pas seulement les réseaux sociaux, je pense aux
smartphones, permettre par exemple à des enfants d'être en contact
permanent avec leurs parents, qui veulent aussi toujours savoir ce qui
se passe, et là, on parle de tyrannie du lien au sens où peut-
être, elle vient un petit peu contrecarrer les processus
d'individuation. Ce sont des questions qui sont liées à la place
de ces objets dans nos relations humaines.
Ok. On va bientôt
passer aux questions du public. Certaines questions
seront traitées je pense dans le bonus. Peut être qu'on
peut terminer cette première partie de questions en
évoquant le mouvement transhumanisme... transhumaniste,
(pardon), les objets connectés et le fait que peut-être, il y a une
accélération dans ce mouvement ou une... peut être que
certains commencent à voir ce mouvement... la réalisation du
transhumanisme, commence à se mettre en place. Donc, peut-être qu'Alain, vous avez
des choses à dire là-dessus?
Oui! Là, tu mets en relation
trois choses qui sont la quantification, la culture de soi et
le transhumanisme. La culture de soi d'après Foucault,
c'est le soin de soi-même, de son esprit avec des pratiques, des
techniques dont des pratiques et des techniques qui s'appuient sur,
éventuellement sur la mesure de soi. Alors le quantified self,
ça renvoie à la mesure de soi, c'est l'image de soi travaillée
par un algorithme. C'est en fait la réflexion du soi relayée
par une réflexion sur soi, c'est ça en gros, le fonctionnement!
Bon. Alors, le problème c'est que le quantified self,
ça va bien au-delà! Puisque c'est en même temps quelque
chose qui est quasiment un mouvement social. Kevin Kelly qui est à
l'origine de ça et presque à la tête de... c'est un mouvement
d'ailleurs! ça se présente comme ça, les gens qui viennent faire des
conférences de quantified self...
C'est un mouvement californien...
Un mouvement californien... C'est quand même quelque
chose qui n'est pas à des années lumières disons de la scientologie
si on veut être un petit peu... bon, un petit peu rapide quoi! Bon!
Donc d'un côté, on a ce
type de rapports entre disons, un quantified self
et puis bon... Donc il y a avec Kelly, un certain mouvement
du quantified self vers disons, une forme
particulière de transhumanisme . Le quantified self
c'est un peu l'école rivale du développement personnel.
Aux Etats-Unis c'est ça! En France,
les rayons de développement personnel grignotent la philosophie,
aux Etats-Unis, le quantified self grignote le développement
personnel, si on parle du contexte intellectuel en général.
Alors, le transhumanisme, c'est assez différent! Tu as fait un triangle
avec les trois choses. Pour comprendre le transhumanisme, on pourrait
reprendre la distinction que Ricoeur faisait quand on parle de
techniques de soi, entre les deux mots anglais: le same,
le pareil, le même et le self, technologies de soi de Foucault
c'est traduit en anglais par "technology of the self". Et quand on parle de
technologie de soi, on parle du self. Alors que le transhumanisme,
c'est du domaine du same, c'est le même, c'est le clonage, c'est le
pareil. Et le transhumanisme n'est pas du tout dans une
logique de travail de soi sur soi et et de culture
de soi.
Il y a aussi tout ce qui concerne la réalité virtuelle, les
mondes virtuels, en ce moment... [...]
L'autre dimension c'est le...
c'est la vie, oui, c'est effectivement la vie éternelle,
c'est même ce qui se présente du côté du
spatialisme, mais en réalité, l'issue du spécialisme... spatialisme, qui est
en fait, le grand projet utopique du début du 19ème siècle, du début du
vingtième siècle par exemple. C'est pas le début du 21ème
siècle! Les travaux qu'on fait maintenant sur le spatialisme et
sur les recherches d'immortalité, font ressortir une sorte de
préhistoire du transhumanisme, quelque chose de parallèle à la
question de l'attention. ça semble très nouveau et en fait c'est très
vieux! C'est tout le vingtième siècle qui a été traversé par ça, mais
l'immortalité des transhumanismes, c'est le same! C'est du
clonage. C'est pas autre chose. Donc c'est carrément le
contraire de la culture de soi. Si on pose la question comme ça!
Le soi disparaît d'une certaine manière.
La technique de départ de la technique de soi,
c'est le miroir. Bon, voilà. C'est le miroir. Mais le miroir réflexion de
soi doit permettre de faire un travail là-dessus, et, tout le monde sait
et en particulier les psychiatres et les psychanalystes, mais, tout le
monde sait que dans un miroir, on ne voit pas... on voit quelque
chose qui est différent, optiquement
qui est différent. Et donc le problème toujours, de la
culture de soi, c'est de comprendre au départ que la réflexion de soi
elle est biaisée techniquement, et de réfléchir sur ce biais technique,
c'est précisément ce qui n'est pas fait. La technique, elle n'est pas
pensée par les transhumanistes.
Je vais juste rajouter un petit mot!
Sur le transhumanisme et le quantified self.
Même si je suis tout à fait d'accord avec Alain Giffard, c'est vrai
que voilà, le quantified self, il y a bien avec Kevin Kelly,
une tendance vers le transhumanisme mais concrètement
après sur le terrain, ce qu'on peut rencontrer, parce qu'il
y a des réunions au niveau du quantified self qu'on appelle limit-up
notamment donc en Europe, c'est vraiment des expériences
d'utilisateurs qui viennent, c' est-à-dire que ce sont vraiment des personnes qui
expérimentent des choses d'eux-mêmes et qui viennent en parler. Ce qu'on ne retrouve
pas dans le transhumanisme. Donc il y a vraiment un côté
idéologique qui est quand même assez loin de la pratique.
Et un des apports donc du quantified self aussi que j'aimerais
vraiment souligner, par rapport à la notion de self (voilà
excusez moi) c'est là où je voulais en venir! C'est qu'on voit souvent la
notion de self comme quelque chose qui fonctionne de soi à soi, or,
là je vous renvoie à la psychologie sociale et à la notion développée par
Mead, où le self et le rapport de soi à l'autre dans le
self, il y a le Je mais aussi le Moi qui va vers l'autre et donc, ce
mouvement réflexif qui vient aussi de l'autre. Foucault
est allé aussi à un moment donné dans ce sens là, en expliquant que
dans les pratiques de soi, dans les techniques de soi, il y avait aussi un
rapport à l'autre. Voilà. Donc le miroir... il y a le miroir mais le
miroir qui peut passer par l'autre. Voilà. Donc l'intériorisation, l'autrui
généralisé. Et donc... Et je dis tout ça parce qu'en fait, dans
le quantified self, il y a une analyse qui est très intéressante et qui est
venue un peu plus tardive, j'en parle pas mal dans mes recherches, c'est qu'on se mesure
soi-même mais on ne se mesure pas seul. Le rapport qu'il y a derrière avec
les réseaux sociaux, le partage des données, là il y a quelque chose qui
se passe dans l'acte de mesures, qui est très riche et donc je pense
que l'apport assez important dans le quantified self c'est la mise
en relation avec l'autre dans la mesure où je ne me mesure pas seule, qui
permet de valider ce qu'on fait, qui permet de comparer et là je pense...
je prends la notion de comparaison qui malheureusement est très souvent
vue dans la société comme quelque chose de négatif, c'est-à-dire se comparer
aux autres, alors qu'en psychologie sociale, on sait que ça fait partie des
fondements de la construction de ce soi, de soi de se comparer à l'autre.
Voilà!
Merci! Donc on va... on a un certain nombre de questions
sur Internet. Pas mal finalement sur la
quantification de soi. Il y a... Je pense que tu as déjà plus ou moins
répondu mais je repose la question: "de tout temps, l'homme a...
c'est Marcouc sur CocoNotes, " de tout temps, l'homme a
construit les objets comme prolongement de soi, le fait que ces
objets soient connectés renvoient des infos, changent-ils vraiment quelque
chose? Alors, t'as évoqué les réseaux sociaux mais est-ce qu'il
y a d'autres éléments de réponse là-dessus?
On a toujours eu des , cette fois ci ils sont connectés, qu'est
ce que ça change vraiment?
Oui ce que ça change, c'est le flux d'information de
données qu'il draine. Voilà. Par exemple, vous êtes connecté avec un objet
qui produit de la donnée de vous, vous produisez de la donnée avec cet
objet via des capteurs, qui sont captées et, et elles sont traitées
par ces outils et réflexivement, ça réagit sur vous, ça
vous transforme. Donc en fait, d'ailleurs moi je fais partie de ces
gens, je pense que l'enjeu n'est pas tellement sur les objets, il est
bien sur l'information, sur la donnée.
D'accord mais avec mon
carnet, je pouvais aussi avoir ce genre de choses. Je construis mon carnet...
Sauf que là, excusez-moi! Donc là, la connexion est permanente voilà! Elle est permanente
et donc elle génère quoi? Alors ça renvoie un peu à ce qu'on a
parlé sur la mémoire, elle génère une historisation de ces données.
Donc quand j'ai un... Je vais prendre un exemple très simple, on a tous
des enfants, on a tous fait une courbe de poids d'un l'enfant et ce qui
nous permet de voir si notre enfant (parce que je vais pas parler d'adulte)
notre enfant a grandi ou a grossi, c'est bien parce qu'on a une mesure
de référence, avant, une historisation des mesures qui nous permet
d'avoir une évolution donc de comprendre un comportement général.
Voilà! Donc les deux différences sont pour moi sur la connection
et l'historisation des données.
Il y une difficulté
particulière que je pense très intéressante avec le quantified self,
c'est qu'un des arguments souvent avancé par ses promoteurs,
consiste à dire que c'est pas tellement les données qu'on voulait
quantifier par les objets connectés qui se
révèlent intéressantes, mais c'est toutes celles auxquelles on n'avait pas pensé.
C'est comme une sorte de tableau de bord qui
viendrait s'implémenter avec des cases qu'on aurait pas
prévues avant. Alors, c'est à la fois très intéressant et en même
temps méthodologiquement, c'est assez terrifiant aussi!
Parce qu'on voit pas très bien ce qui cadre la chose, on voit pas très
bien où est le... pour le coup là, où est le projet? On voit pas très bien où
c'est bordé et on sait pas très bien où est le processus
expérimental. Moi, c'est une des difficultés que j'ai
avec ça, d'autant plus que, sans vouloir me distinguer de
ce que Béa disait sur les les pratiques dans les
séances de quantified self, ces pratiques, ce sont quand même
des choses qui ressortissent au témoignage. C'est pas rien de témoigner!
Dans les séances de l'association quantified self,
alors vous trouvez sur Internet, les
gens viennent...Ils ne viennent pas pour présenter des pratiques
et pour les analyser, ils viennent pour témoigner, logiquement c'est le format
évidemment, on peut faire autre chose! On peut parler du
quantified self sur une autre base. Mais, le témoignage est quand
même quelque chose, ça nécessite une petite étude
anthropologique et historique, d'être dans un mouvement technique
où on témoigne, je veux juste souligner que c'est la première fois
dans l'histoire des nouvelles techniques et donc les
premières fois, il faut toujours les noter! C'est la première fois
qu'on a ça! C'est la première fois que des pratiques instrumentées
sont présentées comme faisant l'objet de témoignage.
Alors, deux questions qu'on peut peut-être relier et qui
sont anonymes en fait. On a pas l'origine, en lien avec la phase
3 du MOOC et la vie de Léa donc tous ces objets connectés. C'est
le cahier "innovation et perspectives" numéro deux de la CNIL que, vraiment,
j'invite à lire parce qu'il est vraiment très très bien fait! Donc en
lien avec la phase 3 du MOOC qui est la vie de Léa avec tous ses
objets connectés, est-ce qu'on ne va pas se retrouver avec des sujets clones
comme dans le roman de 1984 où le film "Bienvenue à Gataca", moi je
pensais aussi au "Cinquième élément" de Luc Besson mais la deuxième
question qui peut aller avec: la quantification de soi n'est elle pas
aussi l'introduction des méthodes de l'entreprise appliquées à soi, un
contrôle de gestion appliqué à l'individu? Qu'est-ce que ça vous inspire à tous les deux?
Le contrôle de gestion appliqué à l'individu?
Donc sur...
Je suis assez d'accord sur la question... Oui, aujourd'hui,
c'est peut-être un des enjeux, d'ailleurs, moi, ma
ma prétention dans la recherche, c'est peut-être aussi de travailler à
concevoir des outils qui ne répondent pas spécialement à des
logiques socio-économiques, mais qui soient conçus, modélisés à
partir de réflexion sociale, humaine. Donc pour répondre à la question,
oui, aujourd'hui, les outils sont quand même très orientés
socio économiquement... excusez moi... (je ne me rappelle plus la question)
ça parlait de... Donc c'était Yves qui avait posé cette question.
que je voulais dire! Excusez-moi! C'est que ça revient avec les
notions aussi de Big Data parce que ce sont les mêmes logiques et
beaucoup de personnes aujourd'hui, justement, finalement, ce
qu'on en train d'appliquer, ça rejoint tout à fait ce que vous
dites, les techniques du Big Data... En fait, le quantified self
et un Big Data personnel, voilà! On va faire à peu près les mêmes choses.
Oui! On peut parler d'une logique économique en
général qui prévaudrait mais, par ailleurs,
la gestion de soi est un domaine des quantified self. C'est-à-dire que
le quantified self a différents domaines d'application:
il y a la santé, il y a le fitness et je dirai que le domaine que
personnellement je considère comme assez bidon, c'est le domaine
de la gestion de soi. Bon. Et qu'est ce que c'est que la gestion de soi?
C'est quelque chose qui va par exemple, vous permettre de mesurer
combien de fois vous avez réalisé une tâche de plus de
huit minutes! Bon. Quelque chose qui va vous permettre
et vous allez après pouvoir faire des petits tableaux, vous allez
vous rendre compte, moi, j'ai vu un témoignage sur Internet,
je ne l'ai pas vu réellement, mais d'un gars qui se suit depuis trois ans
et qui est content parce que, j'en avais déjà parlé d'ailleurs,
et qui est très content parce qu'il est passé, je ne
sais plus quoi, c'est de 12 fois par jour à... bon! Et à mon avis,
il a encore une assez forte marge de progression d'après ce que j'ai cru
comprendre! Mais donc, la gestion de soi, c'est
pas simplement la philosophie générale, c'est aussi dans une
perspective plus étroite, un domaine précis du quantified self
qu'on peut retrouver très concrètement dans le cadre du
travail et là je crois qu'il y a de grosses difficultés.
On mesure
quand même la dimension d'obsessions qui est prise là-dedans et qu'on
retrouve aussi dans les journaux intimes depuis très très longtemps,
et on peut se demander effectivement si c'est très
différent?
[...] J'ai vu un article qui
parlait justement du quantified self et la mesure du moral, voilà! Avec cette
injonction de, être toujours de bonne humeur avec, voilà! Donc
effectivement, je pense qu'il y a tout un tas de...
[...] On est dans ces questions-là!
Alors, une question de Marcouc encore: "est-ce que l'autosurveillance
n'est pas
consciemment ou non ce que la majorité des gens recherchent?", en
citant la multiplication des caméras embarquées, Go Pro, smartphones et
l'engouement justement pour ces objets connectés?
Est-ce que c'est ce que les gens recherchent, attendent... est-ce que c'est pas?
On est dans une culture de l'image, je veux dire, de toute façon!
Donc qu'est ce que... il y a cette... J'avoue que oui...
Je vais passer la main!
Les gens le recherchent, pour eux,
mais ils ne veulent pas que autres le fassent en les embarquant
dans leur affaire. Donc vous avez, récemment dans le domaine:
l'échec du lifelogging, qui est derrière le quantified self.
En fait, Kevin Kelly, il a réorienté...
Peut-être expliquer ce que
c'est.
Le lifelogging, c'était un système où à partir d'une
caméra, des gens se baladaient, et ils enregistraient tous les
moments de leur vie. Le lifelogging a buté sur des questions qui
étaient des questions de technologie, parce qu'une fois que
vous avez enregistré toute votre vie, qu'est-ce que vous faites de ces
enregistrements? Il vous faut des algorithmes qu'ont pas été
conçus par des minus, il faut quand même qu'ils soient capables d'organiser
tout ça! Et donc, ça n'a pas marché! Et Kelly,
qui s'était lancé dans le lifelogging a un peu trouvé comme
porte de sortie le quantified self qui était...
techniquement, c'est une deuxième
génération le quantified self, c'est très intéressant
les phénomènes de technologie de deuxième génération
parce que on voit ce qui s'est passé dans l'évolution des projets.
Et on en parlait tout à l'heure, vous avez un autre exemple qui vient
d'être suspendu, c'est l'histoire des Google Glass de
Google donc! Et bon, ça c'est un échec! ça va être rhabillé de différentes
manières mais c'est un échec! On va dire que ça va redémarrer comme le
lifelogging a redémarré avec le quantified self. Donc il y a des obstacles,
et ces obstacles tiennent au fait qu'on ne peut pas être
dans des technologies ayant trait au soi
qui soient strictement individuelle et qui ignore totalement les autres.
C'est quelque chose de totalement impossible! Avec des blocages qui
sont extrêmement intéressants sur le plan anthropologique: les gens
n'aiment pas être filmés mais ils aiment encore moins que leurs voix
soient enregistrées. Donc il y a des blocages là, et c'est
pas...Il y a à faire du travail qui n'est pas le genre de
travail qu'on fait dans l'Université de la singularité de Kurzweil parce que
dans cette université là, vous avez des techniciens,
vous avez des designers, vous avez des neurologues et des
cognitivistes mais vous n'avez pas toutes sortes d'autres
disciplines qui ont des choses à dire là dessus.
Enfin moi, je
ne peux pas m'empêcher de mettre en lien cette question là, sur le
besoin d'autosurveillance qui serait traduit par tous ces
objets connectés avec, ce que je disais tout à l'heure, c'est-à-dire,
la manière de la disparition de la névrose comme référence d'un point
de vue psychopathologie, et là où il y a plus ce surmoi
intériorisé, il y aurait comme ce besoin de trouver des
équivalents un peu extériorisés. Une autre question qui va peut-être être la
dernière compte tenu du temps qui passe, mais c'est
pour revenir sur cette relation du quantified self avec
le développement personnel, la question est la suivante: le soi
quantifié concurrent du développement personnel, est-ce qu'ils
ne devraient pas plutôt être vus comme complémentaires?
Et là, on peut peut-être
évoquer justement, des applications de quantified self qui
sont orientées développement personnel, autour par
exemple, des technologies calmes, autour de
choses d'attention, d'apprentissage de l'attention... Il y
a un certain... On pourrait aussi parler de (?), de l'alpha cult
des années 70.
J'ai connu effectivement dans les années 70, le culte de l'alpha qui
était... ça fait quand même plus de 40 ans! Et effectivement, ça avait eu
un succès considérable! C'est tombé parce que je pense que
les appareillages étaient trop complexes aussi, mais ça revient avec
le bio-feedback, le neuro-feedback, en lien avec la relaxation,
les techniques de relaxation, est-ce qu'il y a une
perspective de ce côté là? Je pense que c'est un peu le sens de la
question qui était posée!
Moi, je voulais juste dire que,
oui! II y a une tendance à aller plus sur le développement personnel,
mais je parle vraiment au niveau applicatif, il y a une tendance
mais aujourd'hui j'ai pas l'impression que c'est là où on va
le plus. Je pense sur les applications!
Alors vers quoi on va le plus?
Vraiment plus sur des mesures physiques. On va vers du...
où le capteur va devenir de plus en plus transparent, enfin voilà,
sous forme de patch... Il y a vraiment une grande tendance qui va,
après, je ne dis pas! Il peut y avoir des choses qui
vont être beaucoup plus liées à la gestion de soi en général, mais
je pense qu'il y a encore des développements, il y a encore des
choses à amener dans ce sens là.
Alors, ça me fait aussi penser à... on a organisé
une journée sur les technologies réflexives le 24 juin où vous avez
participé et il y avait (?) qui avait parlé de son
utilisation de (?) qui est un outil qui
va vous prévenir quand vous n'avez pas le dos droit,
et mais, qui est un outil temporaire au sens où on apprend
d'une certaine manière à avoir le dos droit et après, on peut l'abandonner.
Et donc, pour revenir sur ces questions de développement personnel,
il y a peut-être un apprentissage, une nouvelle perception du corps à
reconstruire parce qu'on l'a oublié d'une manière ou d'une autre et puis
après, ça peut partir tout seul sans avoir cet objet.
Oui! Tout à fait! Je pense qu'il y a vraiment cette démarche, on peut
vraiment dire que le quantified self, c'est aussi une
démarche d'apprentissage, clairement! Il y a vraiment et je dis ça parce
que justement, il y a beaucoup d'études, enfin beaucoup,
quelques études qui ont montré que les dispositifs et c'est souvent
l'argument pour dire que finalement ça sert à rien! Que les dispositifs étaient
utilisés que quelques mois. C'est-à-dire qu'on se mesure mais très vite!
L'utilisateur en a marre de se mesurer et voilà! Et donc,
beaucoup de personnes ont répondu à cette question en disant "voilà, il y
a aussi...", une fois que l'apprentissage est fait, finalement,
est-ce qu'on a besoin encore de l'objet? Peut-être pas! Voilà!
C'est juste un mot pour dire que nous-mêmes, comme
universitaires, comme scientifiques etc... on a tendance à
considérer ces mots comme quantified self, comme développement
personnel etc... un peu comme des des catégories d'objets, comme
des domaines où se développent
des pratiques. Bon. Il faut pas oublier que ce sont aussi
des écoles, des courants, des groupes d'hommes organisés,
c'est-à-dire ça ressemble à des partis, ça ressemble
à des associations, ça ressemble... c'est pas simplement une
manière de faire les choses. Donc moi je te rejoins sur cet exemple
que tu donnais sur... y a d'autres exemples d'ailleurs,
positifs du quantified self, mais je ne crois pas que
l'exemple que tu donnais sur le mal de dos soit stricto sensu, quelque
chose qui est ressorti sous développement personne.
Le développement personnel, c'est un courant qui est assez précis.
C'était
une analogie, c'était pas par rapport à...
Oui, c'est ça! Mais quand je disais
qu'aux États Unis le quantified self était en
compétition avec le développement personnel, c'est parce qu'on a bien
affaire à deux choses qui sont comparables. Le développement
personnel, il est crée au début du... entre les deux
guerres par (? Carnegie) qui ne s'appelait pas d'ailleurs (?Carnegie)
je ne sais plus comment il s'appelait... s'il a pris le nom de Carnegie(?) parce que c'était un nom
qui inspirait confiance aux États Unis et, c'est quand même
quelque chose qui n'est pas si éloigné d'autres types d'écoles
voire d'autres types de sectes. Et donc je pense
qu'il faut pas oublier cette dimension socio-politique, elle
est peut-être pas drôle, elle est peut être désagréable mais elle est quand même
derrière ce type de... Il y a des groupes d'hommes aujourd'hui, qui
se constituent pour un projet politique autour d'objets techniques.
Et il faut, bien sûr, ces objets techniques peuvent être
détournés, servir à autre chose, mais il faut pas oublier cet
environnement politique et historique.
Alors donc, quand
des millions de personnes ou des milliards de personnes font du quantified self,
on va voir si c'est une secte qui a réussi ou pas quoi!
J'aimerais quand même citer l'étude qui a fait, pareil, une étude
qui a deux ans maintenant du Pew Internet Research aux Etats-Unis,
qui a fait une étude assez importante
sur la mesure. Juste sur la mesure! Et il ressortait en fait, je
trouve que c'est assez intéressant, et ressortait que, a peu près de
69% des Américains avaient des pratiques de mesures, on ne parlait
pas de quantification, on parlait uniquement de mesures pour soi,
ou pour quelqu'un de leur entourage. Voilà! Donc je pense
vraiment que ce qui est intéressant, c'est
vraiment de revenir à cette notion de mesure et voir que c'est quand même
une notion... enfin, se mesurer, c'est quelque chose qui est très ancien,
qu'on ne pratique pas là, depuis le numérique, et là,
vraiment, le différentiel on va dire, qu'il y a aujourd'hui, c'est bien
l'apport de cette connection permanente avec la mesure.
Se mesurer, ça fait référence à un autre alors que quantified self
n'implique pas la référence à un autre, je pense! C'est une différence
importante?
L'outil a été fabriqué par quelqu'un!
toujours un autre dans l'outil et puis il y a, je le dis vraiment
pour les personnes qui pratiquent beaucoup le quantified self,
assidues, on va dire, il y a un autre, il y a un réseau social, il y a un
partage des données, et qui fait partie d'ailleurs du processus,
on sait très bien aujourd'hui que si vous ne partagez pas ce que vous
faites, ça n'est pas validé.
On est un tout petit peu en
retard, on va conclure cette semaine. D'abord en vous
remerciant tous les deux d'avoir bien voulu participer à
ce webinaire. Aussi en rappelant que la semaine n'est pas terminée puisque
la semaine se poursuit jusqu'à lundi. Nous en ferons une synthèse
que nous espérons poster mardi et puis nous comptons bien que
sur les forums, on continue à accumuler de la connaissance et
et à la co-construire sur ces questions d'avant/après et puis de
de soi quantifié. La semaine prochaine, on se retrouvera autour de
la question de la possibilité de fabriquer l'addiction, qui est une
grande question! Est-ce qu'on peut la fabriquer ou pas
finalement? Et donc voilà, il nous reste à remercier tous les
participants sur Internet et dans la salle et à vous donner rendez vous
la semaine prochaine. Les vidéos seront en ligne dès cet après midi si on y
arrive, sinon demain matin! Et puis il y aura sans doute une vidéo bonus
comme toutes les semaines. Merci bien! Au revoir!